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Un mercredi à la préfecture

L’aube se dispersait progressivement, éclairant une ville déjà très agitée. Devant la préfecture, comme chaque matin dès potron-minet, une longue file bigarrée composée principalement d’hommes de tous âges, encadre le bâtiment, patientant avec calme, parfois depuis plusieurs heures malgré le froid mordant de ce mois de décembre. Généreusement, des retraités s’activent à servir cafés et thés chauds accompagnés d’un morceau de brioche et de quelques mots réconfortants : « mon amie avait fait trop de gâteaux, on s’est dit qu’on allait partager ! Thé ou café ? Un sucre ? ». C’est beau l’humanité en action.

Puis à 8h30, les portes enfin ouvertes, la file peut s’ébrouer péniblement en un lent mouvement régulier. A deux pas du château de la ville Royale, personne ne semble surpris de voir ces hommes attendre. Les autochtones se hâtent détournant le regard, absorbés par des soucis d’un autre ordre. De jeunes collégiens se pressent sacs au dos sans prêter attention à ce qui se joue derrière cette ligne humaine. Seule une maman précédée de sa poussette et escortée de trois enfants leur explique que s’ils devaient partir vivre à l’étranger, eux aussi auraient besoin de faire des papiers comme tous ces gens qui attendent là. Une large moto rutilante, remonte la contre-allée longeant le trottoir sous le regard admiratif des jeunes hommes rêvant d’une vie meilleure.

8h52, à l’approche du porche d’entrée, le service de sécurité tente d’expliquer à un homme dépité, comprenant difficilement le français qu’il n’y a plus de tickets pour les titres de séjour, le quota des 120 quotidiens est atteint, il lui faudra revenir encore plus tôt (plus tôt que 7 heures) un autre matin s’il veut avoir une chance de ne pas passer son tour. A l’heure d’internet, d’aucuns s’étonnent « pourquoi ne donnent-ils pas des rendez-vous par créneaux horaires ? ».

Une fois passé le portail de sécurité et obtenu le précieux ticket d’attente, il faut à nouveau prendre son mal en patience. Tous les sièges sont vite occupés et les places sont chères. Le temps s’égrène lentement. On pourrait se croire dans un aéroport international où se croise le monde entier. Certains fatigués de l’attente matinale, se laissent aller à un sommeil léger en attendant leur tour. Le silence est plus que relatif, ponctué d’appels nominatifs et d’avertissements sonores réguliers provenant des écrans d’affichage indiquant que tel guichet attend le numéro suivant. Dans ce lieu où tous viennent chercher des papiers, renouveler un droit, être régularisé, accueilli, changer de vie, devenir français, échanger un permis de conduire, etc., les agents ne ménagent pas leur peine. Et lorsque le ton monte à un guichet où une femme fait un esclandre. « C’est pas possible ! Je vais me plaindre !!! J’en peux plus… » prenant la foule assoupie à témoin, la sécurité intervient vite et une responsable prend aussitôt en charge le problème.  Ne pas laisser monter les tensions.  

Les heures passent, les plus matinaux repartent contents d’avoir obtenu ce qu’ils attendaient. Les autres patientent encore et toujours. Dans un coin, des cris d’enfants se font entendre. Pourtant, aucun enfant ne faisait la queue à 7 heures en attendant l’ouverture ? Des poussettes sont apparues, des bébés portés, des petits, des moyens et des plus grands, tous accompagnant leurs parents, passage obligé pour obtenir les papiers pour toute la famille. Oui, c’est mercredi ! Le jour des enfants !

Et d’un coup la vie est là sous nos yeux dans l’innocence de ces enfants dont l’avenir se joue peut-être en ce lieu. Les bébés dorment, on se demande comment dans ce brouhaha constant de gare. A un guichet, un jeune garçon d’environ 12 ans, d’origine slave, traduit à ses parents ce que vient de lui dire l’agent : il s’est trompé en remplissant la demande d’asile et elle n’est donc pas acceptée. Il faut recommencer toute la procédure. L’officier de la préfecture explique avec beaucoup de gentillesse au jeune garçon ce qu’il doit faire pour ne pas reproduire la même erreur. Quelle responsabilité pour ce garçon, si jeune et déjà en charge de faire toutes les démarches pour ses parents qui eux ne parlent pas français ! 

Plus loin, une maman africaine en boubou suivie de ses quatre enfants sapés comme pour une noce, se dirige vers le guichet. Hélas, il manque un papier. Tractations. Le fils ainé, d’environ 10 ans, est envoyé en mission et repart avec un papier pour aller faire une photocopie. Tout beau dans sa chemise blanche immaculée, il bombe le torse et avec fierté s’en va d’un pas assuré montrer à tous qu’il se débrouille de tout ça, tandis que le reste de la fratrie monte la garde auprès de leur mère.

Et puis, là sur les escaliers, un petit groupe de quatre ou cinq enfants s’est formé, tous d’origines différentes, mené par une petite fille aux longs cheveux noirs et au manteau étoilé qui du haut de ses 6 ou 7 ans, sait déjà parfaitement faire tourner son monde. Ses parents l’appellent sans cesse, mais elle esquive et continue son jeu avec beaucoup d’imagination et de détermination. A son âge, qu’y  a-t-il de plus important que jouer ? Le jeu commence par un saute-marche, une puis deux, puis trois… Cap ou pas cap ? Plusieurs enfants s’y mettent. Chacun son tour, dirige la meneuse étoilée ! Les adultes s’agacent, il faut arrêter. On joue à chat ? En se cachant derrière les jambes des parents, c’est très amusant ! Mais rapidement encore il faut trouver autre chose, les adultes n’aiment pas ça et un parent a repris d’autorité son enfant pour l’enlever du jeu. « Le père Noël ne viendra pas si tu n’es pas sage » gronde un papa.  Une petite fille blonde, vêtue de rose, chantonne une comptine avec les mains. Les autres enfants la regardent avec envie. Non loin, un petit homme en treillis, costaud pour ses 5 ou 6 ans, regarde avec curiosité ces jeux. Il a bien envie d’y participer mais cache son visage derrière les jambes de ses parents dès que la meneuse étoilée vient lui adresser la parole. Le gros dur est intimidé. Elle discute avec lui, mais la barrière de la langue ne lui permet pas de finaliser sa négociation. Qu’importe, la voilà repartie pour une autre aventure ; c’est un siège qui fera l’affaire pour le prochain jeu, tel un toboggan, on y grimpe et dégringole ! On peut même se cacher en-dessous ! Voilà qui amuse un petit père Noël de 4 ans assis en face sur les genoux de sa maman.

Et c'est ainsi que le temps a pu passer, devant ce spectacle de l'innocence, de l'imagination toujours renouvelée et de la joie simple. Papiers ou pas, le mercredi, il faut relativiser car il y a des priorités que les adultes ne soupçonnent pas !!

  (Décembre 2019)