ecrivainpublic78®

Jouer la montre

Né en 1921, j’avais juste 18 ans au début de la guerre. Quand le STO a été instauré, les Allemands voulaient avant tout des spécialistes, ce que j’étais. J’ai donc été réquisitionné pour travailler dans une usine de locomotives, mais au bout de 9 mois, je me suis échappé. Je suis rentré en passant par Dantzig et la Belgique. Arrivé à la maison, j’ai dit que j’étais en permission car tout le monde était étonné de me voir, et il ne fallait pas éveiller les soupçons. Aussi, après 15 jours, il n’était plus prudent que je reste plus longtemps. J’ai donc été me cacher dans une ferme en Normandie.

Dans la ferme, il y avait la fille des fermiers ; nous étions jeunes et c’était la guerre… On nous a donc mariés sinon ça allait « jaser » ! Mais après la guerre, nous avons divorcé. Je m’ennuyais à la ferme et très vite, j’ai pris le maquis. J’ai échappé deux fois à la mort. La première, j’étais avec des camarades dans la benne d’un camion et nous avons été canardés par les Allemands en nous enfuyant. Nous nous sommes cachés derrière le bastingage mais il y avait quand même des jours dans les planches de bois qui le formait. J’avais mis mes bras en croix sur ma tête autant pour me protéger du bruit que des impacts sur le camion. A un moment, j’ai senti une forte secousse sur mon poignet gauche, j’ai cru que j’étais touché. J’ai observé mon bras et j’ai découvert que ma montre était cassée, une balle avait ricoché en son centre, la brisant mais l’arrêtant. Sans ma montre, c’était ma tête qui aurait reçu la balle….. J’ai conservé cette montre toute ma vie, c’est une sorte de porte-bonheur !

Vers la fin de la guerre, au moment de la débâcle, une dizaine de gars et moi, avons été pris par les Allemands du côté de Bois d’Arcy. Ils nous ont fait abattre des arbres pour gêner la progression des Américains. Puis comme ils n’avaient plus besoin de nous, ils nous ont mis dans une maison en nous disant que nous allions être fusillés dans quelques minutes. Ils préparaient le terrain quand des avions alliés ont commencé à sillonner le ciel et lâchaient des obus. Les Allemands se sont mis à l’abri délaissant un peu leur vigilance à notre égard. Avec un camarade, nous n’avons pas hésité… morts pour morts…. Nous nous sommes faufilés en dehors de la maison, faisant dos aux allemands qui surveillaient le ciel. Nous avons couru comme des fous ! Chacun sauvait sa peau, je ne sais pas ce que sont devenus les autres…

A la fin de la guerre, avec une association de résistants de FFI, nous avons demandé la reconnaissance de notre courage envers la Nation. Mais l’État nous a répondu que c’était un choix privé que nous avions fait, et que nous n’étions pas des militaires pour réclamer des médailles. J’ai une médaille de l’association des anciens combattants mais pas d’honneur national. Nous avons même écrit à plusieurs présidents mais la réponse était toujours la même : "Si vous vouliez des médailles, il fallait vous engager dans l’armée !" Alors, j’ai déjà organisé mes obsèques, et il y aura le chant des partisans en hommage posthume ! Maigre consolation…