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Oscar l'Alsacien

Calé au fond de son fauteuil roulant, Oscar se balance d’avant en arrière par légères pressions des pieds sur le sol. Sa femme s’exaspère de ce mouvement incessant mais il n’écoute pas. Du haut de ses 90 ans, il parait détaché de toute contrainte ici-bas. Pourtant le poids des années semble tant peser sur sa tête qu’elle penche d’un côté, puis de l’autre. D’une voix lente et posée, il commence son récit ponctué par le grincement du fauteuil.

« Au début de la guerre, j’ai été mobilisé par l’armée française comme tous les jeunes de mon âge. Au bout de quelques semaines, l’armée française a été mise en déroute. Nous étions encerclés par les allemands, et comme beaucoup d’autres, j’ai été fait prisonnier. Quand les allemands ont su que j’étais alsacien, ils se sont exclamés « mais vous êtes allemand ! ». Suivant cette logique, ils m’ont libéré et renvoyé dans mes foyers. Mais la guerre n’était pas finie. Le revers de la médaille vint quelques mois plus tard quand les allemands ont eu besoin de nouveaux soldats pour aller se battre sur le front russe. Comme moi, de nombreux alsaciens ont été enrôlés de force. Nous n’avions pas le choix sauf à mettre notre famille entière en péril. Je me suis donc plié à leurs exigences et suis parti combattre sur le front russe sous l’uniforme allemand. Mais cette guerre n'était pas la mienne et je me battai mollement, évitant au maximum les combats. Tout alsacien que j'étais, je ne me sentais pas allemand ! J’ai à nouveau été fait prisonnier mais par les anglais cette fois-ci.

La fin de la guerre approchait. Lors du débarquement, il fallait des soldats en nombre. Les anglais m’ont alors dit : « Vous êtes alsacien ? Vous êtes donc français et non allemand ! Vous allez combattre à nos côtés. » J’ai donc été libéré…. pour finir la guerre en tant que « français ». Mais comme les anglais n’avaient pas d’uniforme français à me donner, j’ai dû porter un uniforme anglais.

C'est peu banal mais j’ai fait la guerre sous trois uniformes ! ». Une lueur espiègle s'alluma dans ses yeux à cette évocation, puis un sourire amusé.

Sa femme l’avait écouté avec beaucoup d’attention, sans l'interrompre. La voix vacillante d’émotion, elle conclut : « tu ne m’as jamais raconté ça ! ».

Deux jours après, Oscar l’alsacien s’éteignait, comme si ce dernier récit inédit venait clôturer une vie bien remplie.