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  • Directives

    • Le 22/04/2025

    C’est une histoire banale, celle d’une vieille dame qui s’est couchée en disant « maintenant, ça suffit, il y en a marre, cette vie n’a plus d’intérêt ». Pourtant, elle a une voisine-amie précieuse, qui vient tous les jours pour vérifier qu’elle a tout ce qui lui faut, et une aide à domicile qui multiplie les heures et la bonne volonté pour essayer de lui donner envie de continuer à vivre. Rien n’y fait. Elle est dans son lit, ne veut plus manger et attend que la mort vienne la visiter. 
    Le message sur mon portable est un peu désespéré : « on ne sait plus quoi faire, on n’arrive pas à avoir les services sociaux, j’ai pensé à vous ». Comment un écrivain public peut-il bien les aider dans une situation pareille ? Je ne suis pas magicienne. Je sais effectuer toutes sortes de démarches, mais ne suis ni gérontologue ni psy. Néanmoins, je connais bien l’aide à domicile pour l’avoir rencontrée chez une autre personne ; elle est très dévouée et sa demande me touche. Sans trop de conviction, je lui dis que je vais venir les voir en urgence, entre deux. 
    Un intérieur défraichi mais impeccable, et une voisine-amie souriante m’accueillent avec moult remerciements. La vieille dame de 93 ans est dans son lit. Une vieille amie de toujours part à l’instant, dépitée de n’avoir pas réussi à la convaincre de se lever ni de manger quoi que ce soit. « Une semaine qu’elle est comme ça, elle est très affaiblie. Faut appeler les pompiers vous pensez ? ». L’amie-voisine se penche sur le lit et explique de sa petite voix douce qui je suis. Mais un aboiement l’interrompt : « Je veux qu’on me laisse tranquille ! Je ne veux pas aller à l’hôpital, je veux qu’on me laisse tranquille !... ». La vieille dame répète en boucle sa rengaine, avec aplomb, sur un ton qui ne souffre pas la contradiction. Elle était directrice d’école, institutrice, elle en a vu d’autres, on ne va rien lui imposer. Elle a toujours mené sa vie comme elle l’entendait, ça ne va pas changer aujourd’hui pour sa mort. Qu’on la laisse en paix ! La voix douce et gentille de son amie ne fait pas le poids face à cette maîtresse-femme.
    « Nous sommes responsables, m’explique sa voisine-amie, la voix étranglée d’émotion. Je suis obligée d’appeler les pompiers si ça ne va pas, et ils l’emmèneront à l’hôpital mais elle m’en voudra car elle veut rester chez elle ». Et l’aide à domicile d’ajouter : « C’est de la non-assistance à personne en danger. Si elle a un malaise, bien sûr que nous devons intervenir. Mais elle nous l’interdit, vous imaginez le dilemme dans lequel nous sommes ! C’est terrible ! Et personne ne veut nous aider, rien du côté de la mairie, rien du côté des assistantes sociales, personne ne nous rappelle ». Je n’en dors plus la nuit avoue la voisine-amie, les yeux pochés de fatigue et rougis par les larmes de dépit. 
     La vieille dame se ferme à toute discussion : « Oh ! je suis fatiguée, je n’entends plus, je ne comprends plus, je n’entends plus, je ne comprends plus... ». Je l’imagine d’ici l’institutrice affrontant ses élèves dissipés et s’imposant d’une voix ferme et sans ambages. Les trois femmes ne s’écoutent plus, chacune dans sa raison, chacune dans sa vision. Communication impossible, situation inextricable. Que faire ? Certains diraient « droit à mourir dans la dignité », « Suisse ou Belgique, c’est réglé, on n’en parle plus ». En réalité, il faut en parler justement ! Et soudain, une intuition…
    Je m’approche de la vieille dame qui a fermé les yeux pour montrer qu’elle était fatiguée et n’écouterait plus rien du tout. Je lui explique brièvement mon métier et ajoute que je peux l’aider à dire ce qu’elle souhaite, cela s’appelle les directives anticipées. Je lui raconte une histoire qui m’a été rapporté de la mort sans souffrance, en une semaine d’une amie d’une cliente. La vieille dame s’agite mais écoute. Je lui récapitule : « Si je vous comprends bien, vous voulez : 1/ rester chez vous, 2/ ne pas être emmenée à l’hôpital, 3/ ne pas être réanimée, 4/ ne pas recevoir de traitement particulier à part peut-être pour ne pas souffrir ? C’est ça « vous laisser tranquille » ? » Je l’ai visiblement touchée, elle réfléchit, son amie lui répète ce que je viens de dire, dans l’attente d’une réponse. « Oui, c’est ça, je veux qu’on me laisse tran-quille ! » conclut-elle en insistant sur le dernier mot. 
    « Ok, et bien, on va écrire tout ça et vous allez le signer. Comme ça, s’il vous arrive quelque chose, votre amie sera déchargée de la responsabilité de vous porter secours selon vos souhaits ». La vieille dame acquiesce, tout à fait bien éveillée. Je dicte le texte qui est écrit tant bien que mal, et signé. Je conseille de laisser le document sur la table de nuit, bien en évidence, et d’en faire plusieurs copies pour que tout le monde soit au courant de ces directives et les respecte. 
    Quelques minutes plus tard, alors que je discute dans la pièce d’à-côté avec la voisine-amie des aides à domicile à mettre en place au quotidien, une voix lance un : « j’ai faim ! » aux aidantes bouche-bée. 
    Une semaine plus tard, je repasse pour m’occuper de la déclaration d’impôts délaissée ; la voisine-amie m’ouvre la porte avec un grand sourire. C’est un miracle ! La vieille dame se lève, discute avec les aides à domicile et mange à nouveau ! Elle semble avoir repris goût à la vie, comme ressuscitée ! 
    Comment imaginer qu’un simple papier signé listant des souhaits de fin de vie, pouvait redonner la vie ! Surprenant, non ? A méditer…

     

  • L'inexistence

    L inexistence 0724l-inexistence-0724.pdf (240.46 Ko)

    Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du Prix Gérard de Nerval de la nouvelle 2024. Lauréate avec 15 autres nouvelles, elle est publiée dans un livre aux éditions Arthemuse

    L intrus de noel

  • Ainsi va la vie

    Quand le matin passe maussade et gris

    Un message t'avertit qu’un ou une est parti,

    Qu’il s’est absenté un jour et pour l’éternité,

    Remettant instananément en place ton humilité et tes pensées

    Toi qui ne pensais qu’à ta journée mal commencée.

     

    La vie te rappelle qu’il y a une rive ailleurs,

    Où nous débarquerons un jour avec le poids de notre âme et notre cœur,

    Accueillis par ceux que nous aimions, qui nous attendent en chœur.

     

    Là, nous devrons rendre compte de nos choix, peser malheurs et bonheurs 

    Avec l’espérance de la bienveillance avec laquelle nous attend le Seigneur.

    Loin de nos vies, près de Lui,

    dans l’amour de Son coeur, sous les feux de sa splendeur.

  • Visages d'un jour

    La joie ressemblait à Annie ce samedi,

    Avec ce naturel dynamique et joyeux,

    qu’une bise rend heureux,

     

    Le partage inattendu vint de Magda ce matin-là,

    cachant sa fragilité émotionnelle dans son travail manuel,

    et se créant une carapace, pour ne pas lui laisser de place

     

    La bienveillance se nommait Constance,

    Invitant à discuter autour d'un café à l’épicerie solidaire

    De l'importance qu'a pour elle Dieu le Père

     

    La gentillesse ne quittait jamais Brigitte,

    Toujours souriante, pleine de foi et d’énergie

    et pour chacun, toujours un mot gentil

     

    Le bruit du silence était celui d’un écran tapoté,

    Sur lequel pianotait un couple ukrainien, sourd muet,

    Seul moyen qu’ils avaient trouvé pour communiquer.

     

    L’amitié s’appelait Fatima, que j’ai prise dans mes bras,

    Il est important de savoir sur Qui compter,

    Quand on porte seule une famille et ses difficultés.

     

    La souffrance avait le visage de Laetitia ce jour-là

    Blafarde, les traits tirés de la personne qu’on vient d’opérer,

    et qui espère que demain, tout va s’améliorer.

     

    L’espérance avait le visage d'une jeune fille ce samedi,

    épuisée par les douleurs, mais pleine de cet espoir sur son lit,

    Que, désormais, va renaitre sa vie.

     

    La serviabilité était grande, belle, noire et enturbannée,

    Et gardait avec efficacité les caisses d’un supermarché

    Souriante et amusante, elle était là pour aider et dépanner.

     

    L’absence n’avait pas de visage mais des mots pesés

    Des messages d’encouragement, et d’amitié

    Une présence par la fraternité

     

    On ne compte jamais les visages qu’on croise dans une journée

    Et on ne garde en mémoire que ceux qui nous ont marqués,

    Alors qu’il y en a tant qui ont contribué avec discrétion à l’enjoliver

     

    A bien observer, la foi n'était pas nommée,

    mais derrière tous ces visages et ces partages,

    c’était le Sien bien vivant, qui était présent.

  • Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?

    • Le 22/08/2024

    C’est ce que chante Michel du fond de sa cuisine en rangeant des sacs en papier vides ; il s’occupe. Il aime et a toujours aimé chanter. Le refrain tourne en boucle et semble suffire à son bonheur. Cela lui a enlevé de la tête l’idée fixe qu’il avait depuis une heure : comment peut-on faire pour cuire plusieurs plats en même temps ?

    Pendant ce temps son épouse me demande ce qu’ils vont devenir maintenant. Elle aimerait bien qu’ils aillent ensemble à la maison de retraite. Elle est très contrariée par le kiné qui l’a abandonnée. Alitée depuis bientôt un an, les os dessinés par la peau qui les colle, sans plus aucune graisse ni muscle, elle ajoute - en reprenant son souffle grâce à l’oxygène qu’elle reçoit en continue - qu’elle va en trouver un autre. Il faut bien, dit-elle comme une évidence, car sinon comment va-t-elle pouvoir remarcher s’il ne l’aide pas ? Cette espérance me touche tant sa voix est faible aujourd’hui, il faut s’approcher, elle est épuisée. Elle m’explique de son filet de voix, qu’il y a bien plus malheureux qu’elle. Elle a de la chance de vivre avec son Michel. Toutes ces années d’amour ! Certains jours, elle ne le supporte plus, surtout quand il l’empêche de dormir la nuit en tournant dans l’appartement avec son déambulateur pendant des heures. Mais pourtant, elle l’aime tant ! Elle est même un peu jalouse quand l’auxiliaire de vie vient coucher son mari le soir. Elle était persuadée qu’elle restait dormir près de lui et ignorait qu’on avait dû mettre un lit médicalisé à son mari pour qu’il ne tombe plus la nuit.

    J’ai cru plusieurs fois qu’elle n’en avait plus pour longtemps et je la retrouve la fois suivante, plus vaillante. Elle est vraiment étonnante. « Le secret, c’est l’amour, me glisse-t-elle, et Lui, là-haut… ». Elle me tient la main comme un enfant son doudou, et me montre avec fierté, sur son bras décharné, le bracelet en tissu avec une médaille de la Vierge que je lui ai donné en février pour qu’elle ne se sente plus jamais seule. Un lien particulier s’est noué depuis, invisible mais si spécial et si fort.

    Avant de partir, elle me réclame un bisou. Plusieurs bisous. « Merci ! Ça fait tellement de bien ! Je vous aime » me dit-elle les yeux brillants d’émotion. Elle fait partie de ces personnes qu’on ne peut qu’aimer, tant elle est touchante, pleine de vie dans l’épreuve, pleine d’espérance. Chez ce couple très âgé, il y a toujours et encore de la vie, jusqu’au bout, et après le bout... Et surtout tant d’amour.

    Et Michel qui continue de chanter joyeusement à tue-tête un répertoire français d’une autre époque : « Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon dormir… » « comment ne pas perdre la tête, serrée par des bras audacieux… »

  • Bonheur du jour

    Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du Concours de nouvelles 2023 de l'association "écrire à Versailles". Sélectionnée parmi les finalistes (5me) qui ont été édités dans un recueil publié par l'association 

    Bonheur du jour 1bonheur-du-jour-1.pdf (176.84 Ko)

     

    Objets inanimes

  • @langedejouy

    Ce texte a été écrit à l'occasion de la deuxième édition du prix littéraire de Jouy-en-Josas en 2023, et a remporté le Prix Coup de Coeur

    Langedejouylangedejouy.pdf (cliquez pour charger le fichier)

  • Sur la route

    Sur la route, j’ai laissé derrière moi clients et dossiers pour quelques congés qu’on dit mérités

    Quittant une région parisienne désertée,

    où août ne laisse plus dans les rues que personnes âgées

    et ouvriers s’activant courageusement aux travaux d’été.

     

    Sur la route, à mesure que les kilomètres filaient, ma vie défilait

    Seule dans ma clio, comme nous l’étions jeunes mariés,

    le nid s’est vidé et la berline familiale n’a plus d’utilité.

    Mes pensées voyagent des temps forts de cette année écoulée aux projets de la rentrée.

     

    Sur la route, les lignes m’hypnotisent et me conduisent,

    Sans que le temps après lequel je cours si souvent, n’ait plus l’air important.

    Sur fond musical, plein de poésie française, l’aiguille de vitesse paresse et s’abaisse,

    Permettant aux paysages de dévoiler leurs beautés que les bolides SUV ignorent sans pitié.  

     

    Sur la route, pour se rejoindre, il suffit d’avoir laissé le quotidien, sans besoin d’aller bien loin.

    A l’instar de la vie, offrant de multiples possibilités de destinées à discerner,

    Les routes se font plus vallonnées, champêtres et enlacées,

    Aux couleurs repeintes, chaque heure selon la luminosité, chaque saison selon les plantations.

     

    Et si, au bout de la route, après de petits villages où s’ajoutent chaque année des nouveautés,

    se trouve un lieu familier, plein de cette intimité de l’enfance, presque un musée,

    le cœur allégé du poids du quotidien, ici ou ailleurs, il sera bien temps d’arriver,

    après un voyage intérieur plein de douceurs, après une route dessinée avec sérénité.

     

    Bel été.