Blog
-
Orchestre automnal
- Le 14/01/2019
- Dans Au rythme d'un poème
Sous un ciel bleu clair d’automne, simple et sans fioritures, sans cet aplomb insolant du bleu d’été, la lumière douce caresse le paysage que coiffe un souffle joyeux. Con allegrezza.
Le soleil timide chauffe les promeneurs à travers pulls et coupe-vents, pour profiter encore un instant du jour volé à l’hiver qui s’approche sournoisement. Tranquillo.
Au détour d’un rocher, une mouette sur son promontoire, insensible à cette météo fantaisiste, surveille crânement la canne à pêche laissée par l’homme jaune parti un peu plus loin sustenter son estomac avec un sandwich pâté à défaut de poisson… Intermezzo.
Sur la route de côte longeant les rochers, un vieux vélo au guidon rouillé, à la selle durcie et aux vitesses bloquées par le sel, passe avec fracas, filant de ses grandes roues à gentes fines, à la vitesse du vent qui le porte vers l’horizon, sous le chant d’ivresse de son cycliste ébouriffé. Glissando.
Le vent geint, rit, se calme, hoquette et se moque à nouveau. Il se renforce et devient capricieux, tourmentant la mer qui vient se casser en un feu d’artifice neigeux contre la pointe rocheuse cisaillée par des siècles de sac et ressac, Sforzando.
Car le vent, chef d’un orchestre improvisé composé de portes grinçantes, de vieilles fenêtres sifflantes, de volets battants et d’objets volants bruissant de notes aigües inattendues, augmente fougueusement la cadence des branches saluant bien bas les rares passants d’une révérence démesurée. Vivaccimo ! Tutti !
-
Famille
- Le 02/01/2019
- Dans Au rythme d'un poème
Une famille, c'est un édifice qui se construit chaque jour un peu, et où chaque pièce a son importance et contribue à la solidité, l'originalité et la beauté de l'ensemble
Une famille, c'est un trésor qui grandit avec le temps et enrichit chacune des autres pièces
Une famille, c'est un abri mouvant qui s'ajuste au fur et à mesure des choix de chaque élément et qui soutient celui qui présente une faiblesse
Une famille, c'est un orchestre qui joue parfois de fausses notes mais dont la musique célèbre l'amour et la vie
Une famille, c'est une bonne recette gourmande que l'on façonne au gré des éléments présents et réinvente quand l'un manque à jamais
Une famille, c'est une oeuvre d'art où même les absents seront toujours présents dans le temps.
-
Dernier clin d'oeil
- Le 10/12/2018
- Dans En vrac
J’ai mangé du regard ce visage cireux ressemblant à une statue du musée Grévin, je l’ai trouvé beau et reposé, tout à fait tel que je le connaissais, avec son sempiternel nœud-papillon, ses cheveux d’argent, ses poils sortant des oreilles dont ensemble on rigolait et son sourire charmant,
Les hommes sont venus et sans bruit ont rentré la passementerie. Un sifflement de bouée dégonflée, pet incongru dans ce silence sans vie m’a mis aux lèvres, contre mon gré, une envie de rire et un sourire tristes à pleurer,
Un ultime hochement de sa tête se soulevant puis s’enfonçant dans la soie semblait donner son accord pour ce grand départ, comme un dernier clin d’œil. Puis le couvercle a glissé avec silence, tact et doigté, nous privant progressivement de sa présence, de son visage aimé,
Le lit s’est alors transformé en cercueil faisant apparaître la mort avec cruauté,
Les agents mortuaires silencieusement ont entamé une ronde macabre autour du cercueil pour le fermer, l’un posant les visses, l’autre vissant, le dernier cachant les pointes dorées,
Tu n’étais plus avec nous pour ponctuer leur dernier geste d’un « terminé » et c’était bien plus qu’un simple visage que la mort nous avait dérobé.
-
Le temps suspendu
- Le 14/03/2018
- Dans En vrac
Plus de jour depuis plusieurs jours, plus d’heures dans la journée, plus de verbes conjugués, le temps comme suspendu depuis son départ vers d’autres cieux.
Des temps partagés si étranges et forts,
L’émotion douloureuse de la nouvelle qui clôt une page de notre vie, le silence de la chambre d’hôpital et les visages de circonstances du personnel attentionné
Les yeux rougis des uns le matin, la nausée des autres, mais la douceur du cocon familial. L’action pour réconfort, ces moments très forts d’amour fraternel, ces préparatifs multiples qui font oublier la douleur qui nous réunit.
L’image de son visage de gisant dormant, une esquisse de sourire au coin des lèvres, sa chemise rendue trop grande par la maladie et ses belles longues mains croisées sur le chapelet.
Les hommes gris sans sourire qui s’activent silencieusement en un ballet bien réglé, l’adieu au visage.
Les émotions qui se bousculent sur le parvis de l’église, les amis, les cousins chéris, la famille, les inconnus qui le connaissaient, moments forts de partages avec chacun, témoignages magnifiques sur l’homme qu’il était.
La cérémonie autour de lui, les prières réconfortantes, les mots gentils, les larmes de ses petites-filles, les dessins des petits posés sur le cercueil qui descend solennellement, les fleurs pour le garder avec nous encore quelques jours, les fleurs pour nous rappeler que c’était son heure.
Les souvenirs que l’on tricote ensemble autour de la table, la nausée qui s’estompe, les larmes qui s’assèchent petit à petit,
Tout cet amour pendant quelques jours, tout cet amour et la présence réconfortante de ceux qu’on aime, ribambelle fleurie qui égaye la vie,
Et la vie qui continue et nous reprend,
Le temps atterrit vers un mardi.
-
Premier départ
- Le 14/03/2018
- Dans En vrac
Mardi 6 mars
Il a quitté sa maison qu’il avait mis tant d’années et d’amour à rénover,
Il a quitté ses meubles qu’avec son épouse il avait eu plaisir à chiner,
Il a quitté ses objets aimés et toutes ces images qui ont illustré sa vie
Il a quitté cette campagne à perte de vue qu’avec sa femme il avait choisie
Il a quitté ses éoliennes contre lesquelles il s’était tant battu
Il a quitté son indépendance précieuse pour un séjour palliatif avant le grand départ vers des cieux inconnus.
-
A vendredi ?
- Le 04/03/2018
- Dans En vrac
Ce moment émouvant où je t’embrasse sans savoir si je te reverrai la semaine prochaine,
C’est long une semaine quand on ne sait plus combien de jours ou de semaines on va pouvoir encore compter,
C’est court une heure quand on a encore tant à se dire,Chambouler présent et avenir, vivre l’incertitude mais la certitude d’être là où l’on doit,
Profiter encore un jour, une heure, un instant,
Le sentiment d’inachevé, l’urgence de prendre encore un peu de cette tendresse irremplaçable, une caresse sur la main, un regard, un baiser, un mot,
Plus de phrases, plus d’emphase, l’écoute, l’essentiel, l’important, les souhaits,La maladie qui arrête prématurément les vies, la dépendance et sa valse du médical qui casse le charme des partages, rythme les journées comme seul repère, baromètre du moral de tous,
La dépendance de l’indépendant, l’impensable, la stupeur, l’inconnu,La grâce de ces moments où l’on est juste bien ensemble, moments réinventés de partage en famille autour d’un lit, bonheur volé surprenant où s’efface l’idée de cette minute terrible où une page de notre histoire familiale se tournera,
Les émotions qui vont et viennent, comme le soleil qui succède à la pluie dansant derrière ta fenêtre, les mouchoirs, le sel au bord des lunettes, les bras comme autant de mètres d’amour pour s’entourer les uns, les autres,
Les paupières lourdes qui se ferment doucement en pleine discussion, le silence respectueux qui s’installe, l’observation du souffle, l’inquiétude du sommeil, l’incohérence du réveil,
L’insouciance heureuse des enfants qui rigolent et courent et nous remettent dans la vie, la dent qui bouge de l’un, le sourire édenté et chocolaté de l’autre, le soutien affectif des plus grands,
La musique pour apaiser l’esprit, la prière pour soutenir l’âme et réchauffer le cœur,
Le froid de la nuit qui interroge sur les priorités qu’on se donne, sur la réalité de nos vies trépidantes pour quelle place pour ceux que l’on Aime,
Le temps déjà passé, le temps dépassé, le temps qui ne peut s’acheter, le temps qui nous trahit tous,
"Au revoir ma chérie" tes mots qui résonnent en moi,
A vendredi Papa, s’il plait à Dieu de te laisser encore jusque-là. -
Fièvre
- Le 11/03/2015
- Dans En vrac
Bouclette ne dort plus. Elle ouvre les yeux. C’est encore la pénombre. Une lumière diffuse filtre sous la porte de la chambre. Est-ce le soir ou le matin ? Ses yeux fixent le plafond, intrigués. Une petite bulle y est accrochée.
Elle fronce les yeux pour mieux voir le phénomène, mais, plus elle veut comprendre ce qu’elle voit, plus la bulle grossit, s’étend, puis se multiplie. Les petites bulles clignotent telles des illuminations de Noël pour s’éteindre aussi vite qu’elles sont apparues et réapparaître un peu plus loin, toujours plus nombreuses, toujours plus imposantes.
Bouclette se dit qu'elle doit rêver. Oui, sûrement. Apeurée par ces bulles qui s’étendent bientôt sur une partie du plafond et du mur, elle tourne la tête vers la fenêtre, espérant échapper à cette vision devenue angoissante. Mais bientôt, plafond et murs sont maculés de bulles… Bouclette tremble ; elle a chaud, très chaud. Trop chaud. C’est sûr, elle ne dort plus.
Les bulles ont envahi l’espace, son espace, son lit, Bouclette. La voilà emportée par une bulle plus grosse que les autres. Elle est prisonnière. La bulle se met à rouler sur un chemin étroit. Bouclette est ballottée, tête en haut, tête en bas, à droite, à gauche… Elle est essorée comme dans une machine à laver le linge. Sa tête tourne ; elle a mal au cœur. La bulle roule sur un chemin sans fin et rien ne semble plus pouvoir l’arrêter…
Bouclette voudrait bien que ce ne soit qu’un rêve. Sa salive ne descend plus dans sa gorge, tant ses amygdales sont serrées et douloureuses. Du haut de ses dix ans, elle sait bien ce qui se passe. Elle a de la fièvre et une angine, encore une fois.
-
Méprise
- Le 11/03/2015
- Dans Quelles nouvelles ?
Minuit, la cité est calme. Me voici enfin de retour à la maison, la journée a été longue !
Ce mercredi a commencé sur les chapeaux de roue, sous un beau soleil printanier ; c’est même grâce à lui que je me suis éveillé car, tout étourdi que je suis, j’avais oublié de mettre le réveil. A peine le temps d’avaler un café et de sauter dans mon pantalon que j’avais déjà fermé la porte à clef et dévalé quatre à quatre les escaliers.
Dans l’entrée, j’ai été stoppé net par André, mon voisin du second, la cinquantaine dynamique, un prof de collège comme on n’en fait plus.
Ce matin, il a l’air soucieux.
- Salut Franck ! Tu sais quoi ? Madame Rodrigo, la voisine du premier, elle a été cambriolée hier soir. Une petite mamie, gentille comme tout, qui compte scrupuleusement ses sous pour boucler ses fins de mois ! Si c’est pas une honte, ça !
- C’est pas vrai !!! et elle était chez elle quand ça s’est passé ?
- Oui, mais heureusement pour elle, elle dormait ! Et elle est sourde comme un pot, la pauvre !
André semblait tout retourné, remonté contre la société, contre les politiques qui parlent beaucoup et ne font rien comme toujours ! Il est surtout en colère contre ces parents qui n’éduquent plus leurs enfants et comptent sur l’école pour le faire à leur place. André, il les connaît bien tous ces petits imbéciles qui jouent les caïds au lieu de venir user leur jogging sur les chaises bringuebalantes du collège !
S’attaquer à une petite mamie ! Où va une société qui ne respecte même pas ses vieux, c’est le début de la fin !
André est un homme sympathique mais terriblement bavard ! C’est mon voisin du dessous. Lors de mon emménagement, j’avais à peine tourné la clef dans la serrure qu’il était déjà là pour me proposer son aide. Il est comme ça, André : le cœur sur la main. C’est le genre d’homme qui sait tout sur tout et prend plaisir à régler les problèmes des autres, le tout avec une langue bien pendue… Il devrait faire de la politique !
Ce matin, il est bien remonté ! Tout y passe : l’inefficacité de la police, le désengagement de la mairie, le laisser-aller de toute une société… J’ouvre la bouche pour parler mais il ne m’en laisse pas le temps. Il m’explique qu’il faut trouver une solution à ces problèmes d’insécurité car le week-end dernier, les Brimont se sont fait voler les quatre roues de leur véhicule, et il y a une semaine, Fred, le voisin du dernier étage, a croisé un gars louche dans les caves…
Je l’interromps car l’heure passe et mon chef va s’impatienter ! André me dit qu’ils feraient bien de prendre exemple sur moi tous ces jeunes qui se laissent vivre et ne savent rien faire et qui….
Tandis qu’il continue sa démonstration, je m’éloigne petit à petit en lui faisant un signe de main pour lui montrer que je ne l’écoute plus.
Il me lance, avant que la porte ne se referme complètement sur moi : « Moi, en tout cas, s’il y en a un qui essaie de venir chez moi, il va se faire recevoir ! Je t’ai déjà dit que je chassais à l’occasion ? Figure-toi que mon beau-frère a une ferme dans le Berri et…. ».
La porte s’est fermée et je lui fais un signe d’excuse en lui désignant du doigt ma montre. Il me répond mais la porte retient ses mots.
Ouf, du silence ! Je me sens bien loin de tous ces problèmes. L’insécurité, les cambriolages, ce sont des angoisses de vieux. Chez moi, il n’y a pas grand-chose à prendre ; quelques CD, un vieux PC récupéré au boulot…
*
Ce soir cependant, en arrivant près de la porte, je repense à notre conversation du matin. Peut-être est-ce l’heure tardive qui me laisse cet étrange sentiment de malaise ou le film de suspens que je viens d’aller voir avec des amis ? A moins que je n’aie encore oublié ma tête quelque part, comme cette chaussette qui m’a fait défaut toute la journée… La porte de l’immeuble se referme lourdement sur moi dans un grincement glaçant. L’ascenseur est en panne et les escaliers toujours aussi mal éclairés !
Je devrais peut-être me méfier moi aussi ? Les voyous ne s’attaquent pas qu’aux vieux. Il a raison André, nous sommes tous concernés par ces histoires d’insécurité.
Le stress monte en moi. Moi qui n’ai jamais peur de rien, voilà que la fatigue aidant, j’ai les idées sombres. Une ombre passe… je suis suivi ? Je hâte le pas. J’ai le souffle court. Un bruit métallique me fige à mi-palier. Toujours ce même pressentiment... Je fais volte-face d’un coup, poings serrés, prêt à défendre chèrement ma vie. Personne !... sinon ma propre ombre sur le mur.
Je respire un grand coup pour reprendre mes esprits. Encore quelques marches, vite mes clefs pour rentrer chez moi. Je fouille mes poches, une fois, deux fois. Rien, sauf un trou dans la doublure de ma veste. C’était donc ça le bruit métallique ! Quel idiot ! Je redescends quelques marches. Ouf, les voici ! Demi-tour, je reprends mon ascension. Assez d’angoisses pour ce soir ! Allez, encore un étage. Je ne sais plus où j’en suis avec tout ça !
Un coup d’œil à droite, à gauche : personne sur le palier. Je mets la clef dans la serrure et commence machinalement à pousser la porte de l’épaule. Mais la clef n’entre pas en entier. Je la ressors et l’introduis à nouveau d’un coup sec. Ca ne rentre pas. Que se passe-t-il ? Ma serrure a-t-elle été forcée dans la journée ? Diable d’André ! Il m’en aura donné des sueurs froides avec ses histoires !
Je sors à nouveau la clef et la vérifie. C’est pourtant la bonne. Je souffle dessus pour enlever la poussière et retente d’ouvrir. Rien à faire ! Je m’énerve et tente de forcer la clef une nouvelle fois avec rage, quand je suis arrêté net par des bruits suspects, des bruits qui proviennent de mon appartement…
L’angoisse m’étreint à nouveau. Quelle poisse ! Un intrus chez moi ! Je colle mon oreille à la porte : il y a des bruits tout proches, là, juste derrière. Mon cœur bât la chamade. Il y a quelqu’un, je le sais, je le sens.
Prévenir la police ou un voisin ? Un discret cliquetis de serrure m’indique que je n’en ai pas le temps. Je serre fort mon poing et ma mâchoire se contracte. Je concentre toutes mes forces dans mon bras en suspension face à la porte. Qu’il ouvre ce bandit, s’il ose !
L’immeuble est silencieux et semble retenir son souffle. Le temps est comme suspendu à cette porte.
Un grincement de gonds… Une seconde interminable. La porte qui s’entrouvre timidement, lentement. Une éternité. Puis soudain, une ombre imposante devant moi. En une fraction de seconde, ma peur a détendu avec une force inouïe mon bras armé d’un poing devenu dur comme fer. La chaleur d’un corps au bout de mes doigts et la douleur de ma main écrasée m’indiquent que je l’ai touché !
L’individu vacille et son bras, étrangement long, répond à mon coup par une étincelle immédiate et percutante qui achève de me nouer le ventre et déchire mon abdomen d’une piqûre foudroyante.
*
Un voile blanc, une sensation de légèreté. Ca y est, je dors ! Tête en l’air comme je suis, j’ai confondu le paillasson avec mon lit. Ma mère me l’avait bien dit : « étourdi !!! Un jour, ça te jouera des tours, fais donc un peu attention ! ».
La voix d’André me parvient, lointaine : « Franck ! C’est pas vrai ! Franck ! Mais qu’est-ce que tu faisais devant chez moi ! Avec ces histoires, j’ai cru qu’on forçait ma serrure ! Pourquoi tu ne m’as pas dit que c’était toi ! Franck ! Réponds ! Fraaaannnnnccccckkkkkkk…..! Qu’est-ce que j’ai fait !!!!..........».
Puis, un silence de mort…
Sacré André ! Il avait raison lui aussi, il y a un vrai problème d’insécurité dans cet immeuble.